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La durabilité dans la conception africaine d’espaces communs

Peter Rich, architecte principal de Peter Rich Architects

Mon parcours dans le domaine de la conception d’espaces communs en Afrique a débuté en 1960 : à l’époque, j’étais architecte diplômé et je vivais sous le régime strict de l’apartheid en Afrique du Sud. C’est à cette période que j’ai commencé à remettre en question les approches restrictives des espaces de l’époque, qui excluaient la majorité de la population du pays. Ayant fait le choix de collaborer avec des communautés africaines autochtones rurales, j’ai commencé à observer et à documenter les pratiques rituelles et quotidiennes de ces cultures afin de mieux comprendre comment leurs espaces reflétaient leur patrimoine, leurs besoins et leurs aspirations et façonnaient leur vision du monde.

Ce travail de terrain a pris la forme d’une étude fondamentale documentant la conception d’espaces communs en Afrique australe et son évolution durant la deuxième moitié du vingtième siècle. Une grande partie de cette étude a eu lieu avant que les injustices sociologiques de l’apartheid ne perturbent le mode de vie traditionnel des communautés africaines autochtones.

Bien que mes apprentissages aient commencé il y a soixante ans, cette approche inclusive de la conception d’espaces communs reste pertinente pour concevoir et mettre sur pied une architecture africaine contemporaine responsable qui reflète la diversité et un sentiment d’identité tout en contribuant au développement durable.

Paramètres à prendre en compte pour une architecture écologique fructueuse

  1. Consulter et impliquer la population dans le projet à titre de prérequis pour le design conceptuel ;
  2. Une conception des espaces communs propice et favorable vis-à-vis de l’usage du bâtiment et des cultures qu’il dessert ;
  3. Des bâtiments qui, selon la véritable tradition de l’architecture africaine, ne misent pas tout sur la forme, mais sur la création d’espaces, à travers un développement progressif et une adaptation à l’évolution des circonstances ;
  4. Le plan n’est pas le seul à générer une idée : le toit aussi ;
  5. Un ordre, une échelle et des proportions inhérents et une géométrie régulatrice qui apportent une tranquillité au vécu humain d’expériences singulières en intérieur et en extérieur ;
  6. Symboliquement intemporel, respectant à la fois le passé, le présent et le futur ;
  7. Création d’espaces publics sûrs et accessibles dans une société post-apartheid ;
  8. Un processus de construction adapté à la situation et à faible énergie intrinsèque ;
  9. L’importance de recourir à des matériaux de construction d’origine locale et à des matériaux à faible énergie intrinsèque en termes de fabrication et de recyclage dans un contexte urbain marqué par le gaspillage et par une énergie intrinsèque élevée pour les composants réutilisés ;
  10. Doit nécessiter un faible niveau de maintenance sur le long terme ;
  11. Participation de la communauté à la construction ;
  12. Le principal financeur gouvernemental du projet stipule qu’un certain pourcentage des travaux de construction soient réalisés par des membres sans emploi de la population locale dont la formation en construction contribue à leur émancipation et à celle de la communauté. 

Apprendre de la nature et collaborer avec elle pour créer une conception durable

En 2005, alors qu’elle feuilletait un journal national, ma femme Diane a repéré une annonce pour la conception d’un centre d’interprétation moderne destiné à héberger les précieux artéfacts et reliques du royaume de Mapungubwe, parmi lesquels le célèbre rhinocéros d’or.

Situé au confluent des fleuves Limpopo et Shashe, l’ancien royaume de Mapungubwe se trouve aujourd’hui dans une réserve animalière SANParks inscrite au patrimoine mondial de l’Afrique du Sud. Exemple africain le plus au sud d’une civilisation ayant régné du 9e au 12e siècle, Mapungubwe était un symbole des heures de gloire de l’Afrique, incarnant physiquement, de par la topographie de ses terres, la hiérarchie sociale de la royauté, qui occupait les terres hautes d’une mésa surplombant le prolétariat. La profusion d’or, de poteries Ming et malaisiennes et d’objets en perles découverts sur ces terres est la preuve incontestable qu’il y régnait une civilisation qui commerçait et échangeait des savoir-faire techniques avec la Chine, la Malaisie, l’Inde, la Perse et l’Europe au cours de ses trois siècles d’existence.

Centre d’interprétation Mapungubwe

Pour la conception du centre, il était essentiel de revenir à mes études de la pratique africaine de conception d’espaces communs ; de m’inspirer des alentours et de faire écho à l’importance culturelle du lieu. Par ailleurs, ce sont mes apprentissages tirés de la Nature et de son ordre mathématique intrinsèque qui seraient être la source d’inspiration du concept architectural. Ce que je voulais voir prendre forme, c’était une architecture caverneuse, une continuité harmonieuse de la géologie de la topographie, mais également de la biodiversité du paysage, tout en évoquant le sacré de par son obscurité et son ambiance générale.

L’expression architecturale de la caverne et l’éclairage à clairevoies sont les deux principaux éléments de la conception du centre d’interprétation, qui intègre un chemin de pèlerinage en zigzags parsemé de cairns démarquant les changements de mouvement et de direction au fil de la traversée d’un flanc de montagne de onze mètres de haut. Le site historique comportait des vestiges de repères formant un triangle, signes de la présence de cours de colonies indigènes, reflétées dans la géométrie du plan.

John Ochsendorf, du MIT, et Michael Ramage, de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni (ancien tuteur/étudiant), riches de leurs recherches sur les voûtes en timbrel, ont pris les fonctions de conseillers et ingénieurs des voûtes en timbrel de Mapungubwe

Reprenant la technique de construction préindustrielle de la voûte en timbrel, des carreaux de ciment de sol compressé ont été assemblés pour construire les murs et le toit de la structure dans une courbe caténaire faisant écho aux formations de pierres des alentours en harmonie avec la Nature. La particularité de cette technique est le fait qu’elle s’appuie sur les forces de la Nature pour permettre la création de structures volumineuses sans nécessiter de renforcement en béton ou en acier. Les pierres de surface enlevées du site pour permettre l’érection de la structure ont servi au revêtement des toits voûtés et à la formation des cairns. En utilisant ce que le site nous donnait sans acheminer d’autres matériaux, nous avons pu réduire l’empreinte carbone de près de 80 %.

Centre d’interprétation Mapungubwe

La difficulté était de fabriquer les carreaux de ciment de sol avec le moins de ciment possible tout en conservant une résistance minimale de 4 MPa. Pour ce faire, nous avons mélangé la terre du site avec 5 % de ciment pour réaliser les carreaux. Ces derniers devaient ensuite rester mouillés pendant sept jours pour créer un processus de séchage retardé permettant d’obtenir la résistance requise.

Ce que je n’ai pas précisé, c’est que chaque carreau a été pressé à la main par des membres de la population locale, qui ont été formés au processus de production et à d’autres techniques de construction telles que la maçonnerie en pierres, dans le but de stimuler l’emploi et le développement socio-économique durable de la région.

Centre d’interprétation Mapungubwe


Gestion durable des milieux urbains

S’agissant de conception durable, réfléchir à l’environnement en milieu urbain est tout aussi important que pour un paysage naturel. L’Alexandra Heritage Centre est situé dans l’un des plus vieux townships de Johannesbourg, en Afrique du Sud. Vraisemblablement créé en 1913 par 40 familles qui cherchaient du travail en ville, le township d’Alexandra compte aujourd’hui 700 000 habitants de toutes origines culturelles. La majeure partie du patrimoine bâti se compose d’habitations improvisées, sans infrastructures municipales, qui s’adaptent sans cesse au fil de l’évolution des conditions. L’espace public y prend la forme d’un dense réseau de rues et d’allées qui bifurquent dans des cours privées.

L’Alexandra Heritage Centre

En 1942, Nelson Mandela a loué une petite chambre à ‘Alex’. Dans Un long chemin vers la liberté, il écrit : « Alexandra tient une place de choix dans mon cœur. C’est le premier endroit où j’ai vécu après être parti de chez moi. » Depuis, la chambre de Mandela a été proclamée monument national, et la zone environnante, surnommée « Mandela’s Yard » – la cour de Mandela –, a été désignée quartier patrimonial. Face à Mandela’s Yard, reliant deux angles de rues, se tient l’Alexandra Heritage Centre. 

Lorsque j’ai pris part à la conception du centre, qui a vu le jour en 2004, mon premier réflexe a été d’aller explorer la zone autour de Mandela’s Yard. En documentant le quartier patrimonial dans son intégralité, y compris tous les intérieurs, le mobilier, les espaces extérieurs, et les véhicules, j’ai pu appréhender le contexte existant et l’importance du processus d’évolution organique qui définissait le caractère unique du township et son grain urbain, de manière à intégrer tout cela à la conception du centre.

Le but de cette étude du site était de parvenir à trouver un équilibre entre le respect du caractère urbain des environs, une faible empreinte pour éviter la démolition, et le symbole monumental du centre. Le concept d’un bâtiment en pont qui surplombe la 7e avenue avec ses habitations et ses cours ouvertes définit la perspective lorsque l’on arrive côté sud, tandis que le toit s’essaie à un contraste familier avec un entrecroisement de pentes ascendantes et descendantes. La masse et le site du bâtiment dessinent une ligne quasi-continue, donnant lieu à un jeu harmonieux entre le solide et le vide, avec le sol.  Le pont semble colossal lorsqu’on le voit de loin, mais tandis qu’on s’en approche, la structure se dissout dans le ciel et l’accent se place sur l’aspect urbain des rues, avec deux places publiques qui l’encadrent de chaque côté.

L’Alexandra Heritage Centre

L’idée de durabilité se transpose dans le rude paysage urbain, où les matériaux de construction récupérés et les faibles coûts de maintenance contribuent aux économies d’énergie. L’ossature en acier de l’Alexandra Heritage Centre a été rapide à assembler. Des panneaux intégrant un emboîtement de briques en ciment de sol pressées à la main définissent les murs du centre.  La plaque de polycarbonate translucide revêtant le pont est légère, filtre la lumière naturelle et résiste aux éléments, ce qui réduit les besoins en maintenance au strict minimum. Les places publiques au niveau de la rue ont été pavées à l’aide de matériaux de construction récupérés.

L’Alexandra Heritage Centre

La population locale a participé à la naissance de l’Alexandra Heritage Centre. Il était important de leur faire une place dans le processus décisionnel de la conception du bâtiment. La création d’emploi est un facteur clé de la fonction du centre, avec le recrutement et la formation d’artisans lors de la phase de construction, ou encore l’autonomisation des petits entrepreneurs qui occupent le bâtiment. Le design du centre est lié à une vision beaucoup plus large pour Alexandra, consistant à amener une croissance durable dans le township.

L’Alexandra Heritage Centre se fond dans le tissu urbain animé du township, tandis que Mapungubwe s’inspire des paysages naturels alentours. Malgré les différences de taille qui distinguent les contextes de ces deux projets, ce qui les relie à une approche architecturale durable est le fait qu’ils ont tous deux une conception et un processus de construction qui s’adaptent de manière sensible à leur environnement et à leur contexte en intégrant des matériaux de construction d’origine locale et en limitant leur consommation énergétique. L’émancipation des populations locales y est tout aussi importante, chaque projet visant à favoriser le développement socioéconomique de la région sur le long terme.

Dans l’optique de bâtir un avenir plus écologique pour notre secteur, il faut se souvenir que s’agissant des bâtiments construits dans la véritable tradition de l’architecture africaine, ce n’était pas la forme, mais la réalisation d’espaces qui primait, en s’adaptant aux circonstances changeantes tout en reflétant le patrimoine culturel et un certain sentiment d’identité.

Peter Rich

Biographie de Peter Rich

Peter Rich est un architecte basé à Johannesbourg qui considère ses apprentissages de la conception d’espaces communs en Afrique comme un pilier de sa carrière. En 2009, il reçoit le prix de la construction internationale de l’année 2009 au World Architecture Festival de Barcelone pour le Centre d’interprétation Mapungubwe de Limpopo, en Afrique du Sud. Pour son riche portefeuille de constructions en Afrique et dans le monde, Peter s’est vu remettre de nombreux prix et récompenses. Pour en citer quelques-uns, il a notamment reçu le prix britannique Earth Award, l’International Sustainable Architecture Award ou encore le Wienerberger Brick Award. En 2013, il comptait parmi les nommés pour l’Aga Kahn Award. Le South African Institute of Architecture lui a également décerné une médaille d’or de l’architecture pour sa contribution à la conception d’espaces communs africains, et il est membre international du Royal Institute of British Architects et membre honoraire de l’American Institute of Architecture. Enfin, pour citer une exposition, les travaux de Peter ont été exposés à la Biennale d’architecture de Venise en 2018 dans le cadre de l’Arsenale. Au milieu de tout cela, Peter prend également le temps d’enseigner et de mettre au point de nouveaux cursus d’apprentissage en Afrique, en Inde, en Europe, ainsi qu’aux États-Unis. Pour reprendre ses propres termes, « en tant qu’architecte spécialisé dans les projets communautaires », Peter aimerait « véhiculer aux étudiants l’idée que l’architecture devrait adopter une approche inclusive, basée sur les besoins, les aspirations et le patrimoine culturel d’une population par le biais d’interactions sociales dans le cadre du processus de conception, et être orientée vers un « nouvel urbanisme » reflétant à la fois la diversité et un sentiment d’identité. ».