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Traditions et tendances d’architectures durables en Afrique de l’Ouest

Nzinga Biegueng Mboup, Co-founder Worofila

Introduction
Le concept de développement durable se définit par les méthodes et procédés de développement qui ne mettent pas en péril le bien être des générations futures. Les questions autour du concept de la durabilité et de l’écologie touchent directement l’architecture et l’urbanisme car le domaine de la construction contribue aujourd’hui a 40% des émissions des gaz a effets de serre et 50% de la demande mondiale en électricité. De surcroit, les établissements humains sont de plus en plus urbains et dans le cas de l’Afrique la démographie explose, accélérant ainsi le processus d’urbanisation des territoires.
Le développement durable est aujourd’hui érigé comme une priorité par des organisations internationales, associations, gouvernements, acteurs du bâtiment et planificateurs de nouvelles villes. En Afrique de L’ouest, l’aménagement du territoire est marquée par les constructions de villes nouvelles, appelées “Smart Cities” et qui représentant le futur; Eko Atlantic à Lagos, Semé-city au Benin, Diamniadio au Sénégal et plus récemment Akon-city. Ces villes servent aussi de support de communication pour attirer des bailleurs internationaux, galvaniser l’industrie de la construction et surtout véhiculer l’image d’une urbanité africaine de demain. Ces modèles de villes, calquées sur des modèles occidentaux et construites en béton, métal et verre ne prennent très peu en considération le climat local, les spécificités urbaines de la ville africaine et encore moins l’héritage architectural que nous possédons en Afrique. Les réponses au besoins en infrastructures et ressources doivent être pensées dans un but de limiter les dégradation environnementales et sociales liés au processus d’urbanisation; surtout que les villes ont une durée de vie importante et conditionne notre qualité de vie, notre économie et doivent oeuvrer pour le bien être des populations et une gestion durable des ressources naturelles. Le sahel et la sous région sont dotés d’une ultime richesse en patrimoine bâti, social et anthropologique, urbain comme rural, passé comme présent qui détiennent les clés de la construction et d’une modernité adaptée à nos besoins et nos réalités. Cette étude explorera donc les traditions et processus culturels autochtones, construisant des traditions et des savoirfaire des systèmes de connaissances endogènes sur lesquels ces traditions et processus sont basés, en vue de tirer quelques leçons apprises qui peuvent aider à définir et à promouvoir des pratiques de conception durables. ; Tout en identifiant quelques idées et en définissant des pistes de recherche et des thèmes à explorer pour une exposition potentielle sur le thème général: “Explorer les aspects et processus culturels pour la définition et la promotion de pratiques de conception durable en Afrique de l’Ouest et subsaharienne”.

Diamniadio Lake city, rendus de la future ville à 30kms de Dakar

Construction traditionnelle en terre crue et fibre végétales
L’architecture traditionnelle africaine est le résultat de l’interaction de facteurs environnementaux telles que le climat, la végétation et les ressources naturelles. L’Afrique de l’Ouest est découpée en deux grandes zones climatiques, au nord le sahel qui longe le désert du Sahara et au sud, la foret qui longe la cote atlantique. Ces deux zones abondent d’argile et dans le foret et certaines rives de fleuves, abondent des bois et des fibres végétales tels que le bambou et le raphia. Ces matériaux locaux sont utilisés principalement dans les constructions traditionnelles en Afrique de L’Ouest.
Les bâtiments en terre plus spécifiquement se manifestent dans des maisons individuelles, greniers, temples, mosquées et nombreux sont les édifices et villes anciennes inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO de part de la richesse et diversité de techniques de constructions en terre. On peut citer parmi les plus connus, la mosquée et ville de Djenné au Mali et les maisons des Batammariba au Togo ou encore les Falaises de Bandiagara habités par les Dogons. Ces bâtiments comme la plupart des architectures vernaculaires utilisent les matériaux à disposition sur le site de construction et de surcroit le façonnent dans une architecture qui est en harmonie avec le climat. Des éléments telles que les fines ouvertures en façades ou des vérandas à l’avant des maisons sont des procédés bioclimatiques qui favorisent l’apport en ombre et la ventilation naturelle. Dans la zone du sahel, la désertification rend la présence des fibres végétales rares et l’interdiction de couper du bois se multiplie afin de préserver l’écosystème; la terre reste néanmoins le matériau le plus durable.

Préservation du patrimoine bâti et de la nature
Les techniques de constructions traditionnelles constituent un patrimoine immatériel qui tend à disparaître à cause du déplacement des populations rurales vers les villes et de la saturation sur le marché du ciment pour construire les murs et de la tôle pour les toitures. La perte des avoirs constructifs occasionne la mauvaise conservation des maisons en terre ou des toits de chaume qui sont de plus en plus vus comme étant fragiles et ne résistant pas aux pluies et/ou inondations. Pourtant, les architectures vernaculaires intégraient également une connaissance des cycles et l’entretien des bâtiments en terre est quelque chose qui faisait partie intégrale des constructions. Les éléments en bois sur la mosquée de Djenné et bien d’autres structures similaires servent d’échafaudages et lors d’un festival annuel où tous les habitants se regroupent pour remettre des couches d’enduits de terre sur la mosquée. Ceci est fait avec l’argile du fleuve qui n’est pas en crue et surtout avant la saison des pluies. Ces connaissances du climat et des cycles, leur intégration dans l’architecture et la vie du bâtiment est exemplaire d’une vraie approche bioclimatique. De surcroit, l’aspect collectif des travaux d’entretien permet de diffuser les connaissances et de fédérer les populations autour d’une mission de préservation d’un patrimoine vivant. Enfin, la conception du temps cyclique nous rappelle l’impermanence du matériel et la responsabilité pour l’humain de circonscrire son intervention sur le territoire dans un soucis de maintenir un équilibre avec la nature. La spiritualité africaine étant holistique et caractérisée “animiste”, va au delà de l’attribution d’esprits aux arbres et pierres; elle défend le droit d’intégrité aux êtres humains comme aux éléments de la nature. La sagesse des sociétés africaines est la compréhension de l’interdépendance entre l’humain et la nature car la nature est un patrimoine commun qui doit rester accessible à tous. Un des exemples marquant de cette approche est un des articles de la Charte du Mande qui prescrit des principes de conservation où tout acte posé par la personne humaine affectant la nature doit être jugé et guidé comme le cite l’article suivant : “Fakombè est désigné Chef des chasseurs. Il est chargé de préserver la brousse et ses habitants pour le bonheur de tous “ ; “ Avant de mettre le feu à la brousse, ne regardez pas à terre, levez la tête en direction de la cime des arbres” Une des autres leçons morales de l’architecture africaine est qu’elle place l’intérêt des communautés comme celle des individus au coeur de l’espace.

Ville de Djenné au Mali avec sa mosquée classée par l’UNESCO

Entre tradition et modernité
Si ces constructions sont anciennes, on compte encore aujourd’hui 30% des logements de la région qui sont encore construits avec des méthodes traditionnelles avec des murs en briques séchées, des supports en bois et un toit en terre, chaume ou bois. Dans des pays tels que le Mali, des villes modernes ont été construites au XXe siècle comme celle de Mopti dans les années 1950 où le tracé est en damier mais les constructions restent en banco (terre). La tradition n’est pas quelque chose d’éloigné pour la plupart des africains même en milieu urbain car beaucoup d’habitants des villes sont issus de villages traditionnels. Ce qui veut dire que l’imaginaire des africains est marqué par la “case en terre des grands-parents” dans laquelle les personnes reconnaissent qu’il y’avait un plus grand confort thermique que dans les maisons en ciment. Les résistances à l’adoption de ce matériau en milieu urbain sont engendrées par plusieurs facteurs qui posent de réelles problématiques structurelles et culturelles. Il est donc important de comprendre les tendances actuelles dans le secteur du bâtiment et d’oeuvrer pour des constructions durables en milieu rural comme en milieu urbain, ce qui permettra d’atténuer l’impact environnemental du bâtiment à travers une plus grande efficacité énergétique, un meilleur confort des habitants et une meilleure gestion des ressources. Cet objectif peut être atteint par de systèmes dit passifs (architecture bioclimatique) ou actifs (énergies renouvelables), les uns comme les autres ont encore du chemin pour être “cimenté’’ dans les consciences de tous les acteurs du bâtiments en Afrique de l’Ouest.

Mur construit avec des eco-briques faites de plastique recyclé au Sénégal

Béton, vitrage et climatisation, marqueurs de modernité
La ville postcoloniale est marquée par des constructions d’inspiration occidentales, en béton, engendrés par des processus d’acculturation culturelle qui dictent un imaginaire du progrès comme étant celui qui tend le plus vers la culture occidentale. Le béton, les grandes baies vitrées représentent aujourd’hui la modernité même si cela engendre un inconfort thermique. Le seul moyen reconnu pour obtenir le confort thermique dans les villes est par l’acquisition de climatisation qui devient en soi également un objet convoité qui marque l’ascension sociale. Le béton, le vitrage excessif et la climatisation contribue de part de leur production et usage à une grande perte et consommation d’énergie qui entretien une dépendance sur les énergies fossiles. L’architecture passive se présente aujourd’hui comme un moyen de limiter l’apport en énergie pour faire fonctionner les bâtiments et obtenir un confort thermique. Les principes de l’architecture passive repose sur une adéquation du bâtiment avec le climat dans un contexte sahélien et tropical ; orienter le bâtiment afin de limiter l’exposition au soleil et favoriser la ventilation naturelle, assurer un apport naturel en lumière, protéger les ouvertures vitrées pour qu’elles ne soient pas exposées au soleil, isoler les toitures, etc. Ces principes sont retrouvées dans des architectures d’époque coloniales et post indépendance qui correspondent à un mouvement international du modernisme ou les expressions du « modernisme tropical » se sont massivement exprimées dans la sous région.

Energies Renouvelables
À l’architecture passive s’opposent les systèmes actifs tels que les panneaux solaires et les éoliennes, les deux sources d’énergies qui abondent en Afrique de l’Ouest et pourraient contribuer à diminuer notre dépendance aux énergies fossiles. Dans le milieu du bâtiment, l’accès aux panneaux photovoltaïques se démocratise peu à peu. La motivation pour leurs obtentions par les habitants est souvent dans le but de réduire leurs factures en électricité. Si l’énergie solaire est une bonne alternative renouvelable, la dépendance sur les batteries solaires (qui ont une durée de vie de 5 ans environ) est à limiter et doit s’accompagner d’une conception de bâtiment pour une architecture passive qui réduit au minimum les besoins énergétiques. Dans l’idéal, les panneaux solaires ne devraient pas servir à alimenter des climatisations car la perte d’énergie dans ce processus va à l’encontre du principe d’économie qui doit guider l’approche au développement durable.
Si l’utilisation des panneaux solaires ont des limites sur les habitations où la consommation en énergie est plus forte la nuit, il y’a un fort potentiel à alimenter les écoles, bureaux et commerces en électricité avec des panneaux photovoltaïques avec presque pas de batteries. Ces bâtiments pourraient même être en surproduction et fournir les réseaux en électricité. Dans le cas du Sénégal, une loi est en étude pour permettre la revente d’énergie, ce qui pourrait être une grande motivation pour que les maitres d’ouvrages investissent dans les installations solaires.

Acteurs de promotion de la construction en matériaux locaux
On observe une perte de savoirs et connaissances en matière de techniques de construction en terre dans un contexte ou le ciment est une ressource qui inonde la marche et qu’on trouve virtuellement partout en vente. De surcroit, pour beaucoup d’habitants, trouver des bâtisseurs qualifiés en construction en terre ou ayant la compétence pour faire des toits en chaume est difficile car ces personnes sont moins présentes sur le marché de la construction, surtout dans un contexte urbain. La promotion et valorisation des techniques de conception traditionnelles qui sont mieux adaptées aux conditions locales peuvent contribuer à la démocratisation de la construction et soutenir les économies locales. Il existe heureusement une multitude d’organisations et d’initiatives implantées dans la région joue le rôle de formation et d’encadrement pour la diffusion des techniques de construction en terre notamment.
L’Association Voute Nubienne , implantée au Sénégal, Burkina Faso, Benin, Ghana et le Mali pour but de « Former et accompagner une filière construction verte, stimulant l’employabilité des jeunes en milieu rural”. La technique de la voute nubienne est une technique de construction née en Afrique dans la région du Nil, qui permet d’obtenir des formes structurelles en terre, éliminant le besoin d’avoir des d’autres éléments dans les constructions. L’organisation, de part son réseau extensif a le potentiel de mettre en rapport tous maitres d’ouvrages voulant construire en terre avec cette technique directement en lien avec des maçons qualifiés. L’organisation Fact Sahel+ oeuvre également à la promotion de construction en terre crue à travers un réseau de constructeurs, maçons, architectes, artisans, enseignants, artistes, étudiants, fonctionnaires, ingénieurs, urbanistes, producteurs et entrepreneurs. Ils mettent en place une méthode participative de promotion et de communication et organisent des expositions, des rencontres et des débats, des workshops professionnels, des ateliers découvertes pour petits et grands, des concours, des recherches et des expériences, des outils numériques et graphique. Fact Sahel+ à travers le Terra Award et Fibra Award reconnaît annuellement les meilleurs bâtiments dans la sous-région construits en terre et fibres végétales. En plus de ses deux grandes organisations, des entreprises de construction bien établies dans la sous-région offrent des matériaux de construction en terre industrialisés et aux normes nationales, ce qui contribue au renouveau de confiance dans la terre auprès des particuliers et promoteurs immobiliers.

Maison construite en terre et paille par l’Association Voute Nubienne au Sahel

Dans le domaine de la production de briques en terre crue, Elementerre au Sénégal offrent des briques de terre comprimées (BTC) pour construire des éléments porteurs en terre et a récemment commencé à produire des briques en terre-typha qui ont des propriétés isolant excellente pour notamment les toitures. Au Ghana, c’est l’entreprise Hive Earth qui est le leader dans la construction en terre, et se démarquent particulièrement par l’utilisation de la technique du Pisé ou la terre est comprimée manuellement dans des couches successives, ce qui donne une texture distincte aux réalisations. Au Bénin, Nature Brique fabrique de la terre cuite avec l’argile trouvée localement, en utilisant la coque de noix et de palme comme combustible. Même si la brique de terre cuite a un impact écologique plus élevé que la terre crue, les briques produites sont alvéolaires et thermiquement isolante et se présente comme une meilleure alternative aux parpaings de ciment. Enfin la société sud-africaine Hydraform connue pour sa production des logements en matériaux locaux après l’apartheid commence a promouvoir en Afrique de l’Ouest l’utilisation des BTC et de la technologie Moladi qui utilise des grands panneaux de plastique remplis de terre. Hydraform fournit notamment des presses hydraulique et manuelles
permettant la confection de BTC, blocs autobloquants pour faciliter la construction. La croissance d’entreprises construisant en terre permet aux architectes de se dédier à la conception de bâtiment en terre et on en dénote une quantité croissante en Afrique de l’Ouest. Au Sénégal, il y’a eu Atelier Koe dans le passé mais plus récemment, le collectif Worofila, fondés par des architectes se positionne comme les spécialistes de la conception bioclimatique. De la même façon que Architerre au mali, sous la direction de Mariam Sy est un atelier de conception qui a une démarche résolument orientée vers le développement durable et une architecture qui contribue au confort et au bien être en limitant les coûts d’utilisation et d’entretien du bâtiment. Au Niger, l’architecte et chercheur Moussa Abou se démarque par sa technique de construction, la méthode Abou, qui élimine le bois et le métal qu’il estime ne pas être des matériaux durables dans la région pendant que Atelier Matsomi sous la direction de l’architecte Mariam Kamara, oeuvre à trouver des solutions innovantes pour un futur durable des populations. L’illustre architecte Francis Kéré depuis l’obtention du prix l’Aga Khan pour l’école primaire de Gando compte aujourd’hui plusieurs projets de bâtiments publics en terre. De la même façon la ‘star-architecte’ Sir David Adjaye entreprend des projets institutionnels en terre et avec des technologies bioclimatiques actives comme dans le projet du siège de l’IFC à Dakar qui allie briques de terre crue à une canopée de panneaux photovoltaïques qui fournira une autonomie énergétique au bâtiment.
Les projets en terre pilotés par des architectes européens sont également présents dans la région. LEVS Architecten, un cabinet Néerlandais a multiplié les projets en terre dans la sous-région et notamment piloté plusieurs initiatives de logements sociaux en terre au Mali et en Mauritanie. Pour terminer, l’ecole Craterre continue de jouer un rôle important en mettant leur experts à disposition d’initiatives pour former et accompagner les projets de formation, rénovation et construction en terre crue. En tant que leader mondial de l’éducation aux métiers de la terre, les fondateurs de Architerre et Elementerre sont d’anciens élèvent de cette école grenobloise. En dehors de la terre, les fibres végétales commencent également à connaître un renouveau comme matériau écologique pour des constructions contemporaines. Au Nigéria, l’entrepreneur Ibrahim Salisu construit des maisons en Bambou dans le centre de Kaduna. Ce matériau entièrement renouvelable et pousse rapidement contrairement a certains arbres. Les autorités nigérianes commencent à considérer l’érection de maisons en bambou, constructibles en deux jours, comme solution partielle à la crise du logement. Enfin, il faut également souligner des initiatives gouvernementales en Afrique de l’Ouest qui militent pour des constructions plus écologiques, à savoir le Programme National pour l’Efficacité Energétique du Batiment (PNEEB) et le programme Typha Combustible Construction Afrique de l’Ouest (TYCCAO) sous la tutelle du ministère de l’environnement au Sénégal qui ont abouti à la construction de l’eco-pavillon de Diamniadio et une école à Dagana à base de terre et de Typha. Au Benin, le Ministère du Cadre de Vie et de l’Habitat a mis en place une “Communauté de Fabricants et poseurs de matériaux locaux de construction” pour promouvoir les matériaux locaux auprès de décideurs politiques. Bien que cette dernière initiative ne soit pas d’une grande importance, elle montre que les gouvernements africains commencent à comprendre les enjeux économiques de la promotion de matériaux locaux. Un peu plus loin de l’Afrique de l’Ouest, au Cameroun, le MIPROMALO (Mission pour la Promotion des Materiaux Locaux) fondé en 1990 sous la tutelle du Ministère de la Recherche scientifique sert de ressource centrale dans le renouveau de la construction en matériaux locaux. Toutes les initiatives mentionnées ont de fortes possibilités de duplication en Afrique où la terre est largement disponible et les retours sur investissements dans les matériaux de construction sont courtes. La promotion et vulgarisation des techniques et filières de construction avec la terre, le typha et autres matériaux bios et géo-sourcés va devoir passer par de forts programmes de formation et de transferts de compétences. Pour que ces initiatives passent à l’échelle, une volonté politique à l’échelle des états est requise pour systématiser cette approche et surtout mesurer l’impact écologique et surtout économique que la construction en terre et matériaux locaux peuvent avoir sur l’économie locale. Des équipes de Craterre sous la direction d’Olivier Moles ont mis sur place un logiciel IMPEEC (Impact Economique et Environnemental) des qui permet de mesurer l’impact écologique (sur toute la vie du matériau) et économique d’un matériau ou l’autre selon le lieu. Ce genre d’outil permettrait aux autorités et maîtres d’ouvrages à faire des choix informés et surtout avoir une vision plus globale de la durabilité des choix des matériaux de constructions.

Enfin, il est impératif financer la recherche auprès d’institutions locales qui se penchent déjà sur ces questions. L’Université de Thiès, le Centre de Recherche Architecturales et Urbaines (CRAU) à Abidjan, les écoles d’architectures à Kumasi, à Lomé et Abidjan doivent servir de laboratoire et d’enseignements du patrimoine bâti et des techniques de construction ancestrales pour utilisation dans les bâtiments contemporains et de demain.

La terre, matériau de luxe citadin
Si la plupart des initiatives identifiées plus hauts prennent souvent forme dans un milieu rural ou périurbain où les revenus sont humbles, on a des tendances grandissantes d’utilisation de la terre dans un milieu urbain et aisé qui pourraient contribuer à sortir le terre et la paille de l’imagine du ruralisme et/ou de la pauvreté. L’hôtel Djollof à Dakar et les hôtels Onomo à Bamako et à Dakar sont des structures en terre pour des lieux qui desservent une clientèle huppée et internationale. De surcroit, les élites africaines, locales et diasporiques qui inspirent une nouvelle bourgeoisie mondialisée commencent de plus en plus à solliciter des architectes pour leur construire des maisons en terre tout en ayant une esthétique moderne loin des formes de cases et mosquées traditionnelles en terre. Si les élites peuvent influencer les imaginaires du reste de la population dans l’acceptante d’une esthétique nouvelle, il ne faut pas tomber dans un esthétisme romantique de la terre, ou on se retrouverait avec des structures qui ont l’apparence de construction en terre sans l’être et surtout sans bénéfique bioclimatique et économique à l’industrie locale. Le risque d’une approche élitiste de la construction écologique peut tomber des procédés de « greenwahsing » ou le panneau solaire et le crépissage en terre suffit pour qualifier son bâtiment d’écologique. L’approche doit rester dans la durabilité ce qui veut dire de tout faire pour faire de la construction un outil de promotion des ressources locales et diminuer la dépendance aux matériaux importés.

Ecologies citadines et recyclage
Les villes africaines sont des lieu de création ou l’entreprenariat est central à l’économie et la survie des populations. Ainsi on observe des économies se sont créées sur le recyclage des déchets en milieu urbain. Le plastique étant devenue un fléau écologique, plusieurs initiatives en font usage pour créer des eco-briques ou les déchets non-périssables sont insérer et compacté dans des bouteilles en plastique. Ces Eco-briques contribuent a des opérations de nettoyage de quartier, tout en créant des revenus
économiques a ces habitants qui revendent les briques aux collectivités qui les utilisent pour construire les édifices publics. L’association Eco Brique Africa pilote un bon nombre de ses initiatives au Sénégal et notamment dans le quartier de Medina Gounass. En Côte D’ivoire, une initiave de l’UNICEF appuyée par une organisation colombienne Conceptos Plásticos construit des salles de classes avec briques industrielles faites avec des déchets plastiques. Le but est d’arriver à faire tomber le coût d’une salle pour 50 élèves à 10 000 euros en utilisant 5 tonnes de déchets recyclés, contre 15 000 euros avec les matériaux
habituels. Une autre matérialisation architecturale de l’économie de recyclage de déchets est celle des carreaux cassés issus de découpage et pertes de carreaux utilisés sur des chantiers et revendus pour servir de matériaux de carrelage à bas prix pour les trottoirs et cours extérieures. Bien que ces initiatives prouvent de l’ingéniosité écologique des citadins d’Afrique, leurs limites sont dans l’impossibilité de re-recycler ces briques en plastique à long terme. Pour qu’il soit considéré comme écologique, un matériau de construction doit s’inscrire dans une logique de durabilité tout au long de son cycle de vie c’est à dire depuis l’extraction de la matière première, son processus de fabrication, de transport, de stockage, sa commercialisation, son entretien et recyclage. Toutes les énergies dépensées pendant ce processus déterminent son empreinte carbone sur la terre et le plastique issues d’énergies fossiles est difficilement qualifiable comme matériau écologique.

Environnement et littoral africain
Un enjeu important dans la réflexion environnementale des villes africaines est celle de la survie du littoral. En aout à Dakar l’an dernier, les habitants de ces certaines collectivités se sont mobilises pour dénoncer les projets de construction monstrueux sur la corniche de Dakar. 12/15 des capitales (économiques) en Afrique de l’ouest sont sur la cote atlantique, les rendant vulnérables à la montée des eaux engendrée par le réchauffement climatique. L’architecte Nigérian Kunlé Adeyemi a fait des villes côtières une problématique centrale de recherche en proposant entre autre un prototype d’école flottante pour Makoko, le bidonville sur eaux de Lagos qui souffre notamment des montées de marrées occasionnées par la ville nouvelle d’Eko-Atlantic, construite dans la mer. Les ethnies autochtones à ces capitales entretiennent pour la plupart du temps un rapport spirituel avec l’eau. Les esprits des eaux sont des éléments protecteurs aussi bien chez les Ewe de Lome, les Ga d’Accra. Les Ebrié d’Abidjan ou même les Lebou de Dakar. Ces derniers entretiennent une relation symbiotique avec l’eau qui les nourrit grâce à la pêche. Les rites d’apaisement des esprits ont lieux sur les plages des capitales aujoud’hui à l’assaut des investisseurs privés. Les croyances traditionnelles craignent la colère des esprits et des mythes endogènes clâment que la perturbation des écosystèmes marins engendrerait des cataclysmes écologiques tels que l’engloutissement de la terre par les eaux. Si les manifestations des croyances traditionnelles se manifestent de moins en moins dans des villes multi-ethniques et marquées par des religions importées telles que l’islam et le christianisme, la recherche des savoirs endogènes des peuples autochtones peuvent nous informer davantage sur une relation plus symbiotique avec la nature.

Le concept de durabilité dans l’urbanité africaine
Si la notion d’architecture vernaculaire renvoie généralement aux construction anciennes, regroupées principalement dans les zones rurales, la culture vernaculaire désigne les formes culturelles créées et organisées par des peuples ordinaires, par opposition à la haute culture d’une élite. Les villes africaines présentent aussi des formes et bâtiments urbains vernaculaires; comcessions familiales modernes, établissements informels, urbanisme spontanés, etc. Toutes ces formes sont fabriquées par le peuple en l’absence d’un urbanisme formel adapté qui correspond aux modes de vie et normes sociales des habitants. Les villes sont des espaces de transformation et mutations constantes et des villes africaines mettent en avant des intelligences collectives qui structurent les espaces pour répondre aux besoins en temps réel des populations. Les services de proximité qu’on observe dans les quartiers tels que les boutiques, call-box, vendeurs de légumes, lavages autos, vendeurs de café, maquis/tangana sont tous des infrastructures économiques et sociales qui rendent les villes africaines plus fonctionnelles dans une certaine mesure. Le concept occidental de la ‘smart city’, qui accentue un suprématisme technoscientifique des élites pourrait se décliner en un modèle plus collaboratif et intuitif présent dans la ville africaine dite « informelle ». L’architecte et anthropologue togolais Sénamé Koffi Agbodjinou, par le biais de son FabLab Woe-lab, prône une utilisation des technologies de partage guidée par des leçons acquises des architectures et sociétés vernaculaires africaines pour construire la ville. Un des principes qui est celui de fractale, suppose que la ville peut se créer en unités modulaires qui ont les caractéristiques de la ville dans leurs unicités et leurs multiplications à plus grande échelle. Il prône également le concept du Low High-Tech qui définirait une architecture vernaculaire et démocratique partant des initiatives locales et la fabrication à partir de ce qui est disponible. Afin de concevoir des villes africaines durables, il faut traduire les consciences, cultures et mode de vies des africains dans l’espace urbain en se reposant sur les patrimoines matériels et immatériels existants. Cette production de la ville doit également passer par la possibilité de permettre aux collectivités (accompagnées) de façonner leurs espaces et de laisser place à de nouvelles expressions d’urbanité. Les nouvelles technologies permettent également de renforcer des économies de partage et une plus grande diffusion des informations. Les expérimentations urbaines à petites échelles, portées par les habitants et utilisant les ressources locales détiennent les clés de la ville
du futur. Des programmes tels que Liaisons Urbaines ont crée une série des projets de mises en valeurs de l’espace public de villes africaines au travers des expériences participatives. D’autres initiatives similaires prennent forme lors de festivals urbains comme le Partcours à Dakar ou Chale Wote à Accra. La force de l’action et l’intelligence collective, comme dans les chantiers des architectures anciennes, permettent aux peuples d’exprimer leurs identités dans l’espace.

Conclusion
Le renouveau architectural occasionné par la connaissance des architectures vernaculaires nous permettent de nous reconnecter avec notre écosystème immédiat. L’optimisation des ressources matérielles et humaines de la région doit servir à créer des sociétés nouvelles, plus égalitaires et qui remette l’humain, son bien être et celui de sa communauté et son environnement au centre de l’espace. Les villes africaines doivent être des espaces plus vivables pour ses habitant avant d’être des lieux de spéculation foncière. La conception de la durabilité africaine qui a été démontrée dans le passé et continue de se créer dans les espaces urbains. Les choix que les africains feront a le potentiel de servir au monde entier dans une époque où les économies d’extractions et le capitalisme sauvage ont démontré leurs limites.

Bibliographie
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Sites web
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https://www.hydraform.com/
ria-to-adopt-48-hour-building-technology-using-bamboo/
https://www.globalconstructionreview.com/news/48-hour-bamboobungalow-
plan-launched-tackle-housi/
https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/actions-et-initiativesdu-
fact-le-reseau-des-experts-de-la-construction-en-terre-au-sahel
https://www.citedelarchitecture.fr/fr/article/liaisons-urbaines